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Naram-Sin
Biography of Naram-Sin
Si l'on en croit la Liste royale sumérienne, Narâm-Sîn serait le petit-fils de Sargon d'Akkad et le quatrième roi de la dynastie à monter sur le trône akkadien, après son oncle Rimuš et son père Man-ištušu. Il aurait régné cinquante-six ans, tout comme Sargon, son grand-père. Ces informations ne sont cependant pas définitivement assurées, faute de documents contemporains susceptibles de les confirmer. La longueur supposée de son règne semble, en tout état de cause, historiquement peu vraisemblable, et certains proposent aujourd'hui de la ramener, au plus, à trente-sept années; on en ignore complètement la chronologie interne, et cela bien que le règne de Narâm-Sîn soit plutôt mieux documenté par des sources contemporaines que celui de ses prédécesseurs: on dispose en effet, notamment pour son époque et celle de son fils et successeur Šar-kali-šarri, de lots d'archives administratives provenant de différents centres, qui apportent certains éclairages sur les structures de l'empire. On ne peut nier, quoi qu'il en soit, que l'Empire akkadien a atteint son apogée avec Narâm-Sîn, même si la tradition postérieure a fait de ce roi le responsable de la chute de l'empire, alors qu'il ne commence à se décomposer qu'à partir du règne de Šar-kali-šarri.
Il reste impossible aujourd'hui d'écrire une histoire détaillée des années du règne de Narâm-Sîn. On observe seulement que, poursuivant la politique d'expansion de ses prédécesseurs, il n'a cessé de guerroyer, portant les frontières de l'empire à leur extension maximum et forgeant ainsi son image de roi combattant et conquérant. La mesure de ses conquêtes nous est notamment connue par ses inscriptions royales, plus nombreuses que celles d'aucun autre roi de cette dynastie akkadienne. Vers le nord-ouest, il prétend ainsi avoir détruit la ville d'Ebla en Syrie, avoir atteint la côte méditerranéenne et s'être rendu jusqu'en Cilicie. Vers le nord, ce sont les sources mêmes du Tigre qu'il affirme avoir gagnées. C'est un fait que des témoignages de sa présence ont été relevés jusque dans la région de Diyarbakir. En Mésopotamie du Nord, il est présent à Urkiš (Tell Mozân) et installe une importante forteresse à Nagar (Tell Brak). Dans la région du moyen Tigre et en Transtigrine, des preuves existent de son contrôle effectif sur Aššur, Nuzi, les régions du Djebel Hamrin et de la Diyala, alors même que sont proclamées ses victoires sur les Lullubi qui occupent certaines zones à l'est du Tigre. Au sud-est et au sud, Suse en Iran et Magan le long du golfe Persique sont également sous son contrôle. Infatigable soldat, Narâm-Sîn ne cesse de répéter qu'il est allé «là où aucun autre roi n'était allé avant lui ». Mais il reste difficile de déterminer dans tout cela quelle est la part de récits inventés, de raids sans lendemains ou de véritables conquêtes. Si l'on ne parvient pas à savoir jusqu'à quelles limites exactes s'est ainsi accru l'Empire akkadien avec Narâm-Sîn, on observe cependant qu'au moins toute la haute Mésopotamie et les régions de Transtigrine ont été mises sous son contrôle direct, à la suite d'un effort continu de guerres de conquêtes s'étendant sur de nombreuses années.
Dans ce contexte, ce n'est donc sans doute pas un hasard si le monument le plus célèbre de Narâm-Sîn reste la Stèle de Victoire retrouvée à Suse (où elle fut emportée plus tard comme butin par des conquérants élamites) et aujourd'hui conservée au musée du Louvre. Elle commémore la victoire akkadienne sur un certain Satuni, roi des Lullubi. Quand on la compare par exemple à la Stèle des Vautours de Lagaš, qui lui est antérieure d'environ deux siècles, on constate d'emblée le caractère très neuf de la figuration. La scène principale représente Narâm-Sîn, personnage central vers lequel tout semble converger, armé d'un arc et d'une hache, la tête ornée d'une tiare à cornes caractéristique des dieux mésopotamiens. Image dynamique du roi conquérant dont la gloire est soulignée par sa haute taille et le caractère ascensionnel de la composition. Avec ce souverain, la victoire par les armes devient le principal élément de légitimation de l'autorité royale.
Mais l'événement majeur du règne de Narâm-Sîn a sans doute été l'insurrection générale, qu'il a dû affronter vraisemblablement dans la dernière partie de son règne, à l'intérieur même de son empire. Il évoque dans plusieurs inscriptions ce moment où «les quatre régions (du monde) se sont ensemble soulevées contre lui et où il les a vaincues au cours de neuf batailles menées en une seule année ». Ce fut sans doute une affaire essentiellement mésopotamienne, qui nous est notamment connue grâce à plusieurs copies d'époque paléo-babylonienne de l'inscription que Narâm-Sîn dédia au dieu Enlil de Nippur à l'issue de sa victoire. Il s'agit là d'un texte remarquable, mais qui ne nous apprend malheureusement rien sur les raisons de la révolte, ni sur sa date précise. Parmi les cités rebelles, on relève: Kiš, Kuta, Dilbat, Sippar, Kazallu, Giritab, Apiak et Ereš en Babylonie (rangées derrière le roi de Kiš); et Uruk, Ur, Lagaš, Umma, Adab, Šuruppak, Isin et Nippur en pays de Sumer, plus au sud (rangées derrière le roi d'Uruk). Mais on compte aussi, au nombre des rebelles, des centres éloignés comme Šimurrum, Apišal, Mardaman ou Magan: la révolte fut donc générale. Cependant, faute d'alliance ou de coordination entre les deux principaux groupes, Narâm-Sîn semble avoir pu, à l'issue de plusieurs combats, se débarrasser d'abord des «Kišites », puis des «Urukéens », ce qui lui permit en définitive d'échapper miraculeusement à ce qui risquait d'être un désastre programmé. Les esprits contemporains et les générations postérieures ont visiblement été marqués par ces combats et par cette victoire inattendue, renforçant l'image du guerrier hors pair, figure exemplaire de souverain universel.
Pendant toutes ces années de guerres incessantes, il est indéniable que se sont forgés dans l'Empire akkadien des modes de vie, des formes économiques et des idéaux nouveaux, au point que, s'il existe une rupture avec l'époque sumérienne archaïque précédente, elle doit sans doute être davantage recherchée sous le règne de Narâm-Sîn que sous celui de Sargon. Cette rupture s'observe notamment dans ce qui touche à l'idéologie royale: Narâm-Sîn était peut-être suffisamment sûr de son génie militaire et de son invincibilité pour entreprendre de se faire diviniser de son vivant et prétendre à la royauté universelle, ce qu'aucun souverain n'avait fait avant lui: il se fait ainsi représenter avec la tiare à cornes, caractéristique des dieux, et son nom s'écrit précédé du déterminatif propre aux divinités. Dans l'une de ses inscriptions, on voit d'autre part Narâm-Sîn être plébiscité par le peuple pour être reconnu comme dieu d'Agade et disposer d'un temple dans sa capitale. Enfin, refusant de se contenter du titre royal de ses prédécesseurs («roi de Kiš »), il s'attribue le titre de «roi des quatre régions (de l'univers) », prétendant ainsi pour la première fois à la domination universelle. Sans que l'on sache à quel moment il s'est revêtu de ses titres novateurs, c'est un véritable changement de régime qui s'est sans doute alors produit: avec Narâm-Sîn, la royauté est devenue héroïque, l'idéologie royale véhiculant l'image d'un roi fort, courageux, victorieux, et l'institution royale se trouvant soudain promue très au-dessus des autres institutions.
C'est également en rupture avec ses prédécesseurs, qui avaient toujours soigneusement respecté l'équilibre politique et religieux entre Sumer et Akkad, sans remettre en cause la primauté d'Enlil de Nippur, que Narâm-Sîn semble avoir privilégié le culte d'Ištar dans sa capitale d'Agade. On peut considérer en définitive qu'avec ces «réformes », Narâm-Sîn a réinventé idéologiquement le royaume akkadien créé par Sargon. Religion impériale et art officiel ont été chargés de diffuser ces conceptions nouvelles, cette suprématie de la royauté guerrière et le nouveau langage politique et religieux qui leur étaient associés. Cette rupture nette avec les traditions antérieures et ces initiatives sont peut-être à l'origine de la mauvaise réputation de Narâm-Sîn dans l'historiographie postérieure.
De toute la lignée des rois d'Akkad, il est en effet intéressant de voir que Sargon et Narâm-Sîn sont seuls restés, jusqu'à la fin de la culture cunéiforme, un point de référence fondamental dans la conscience historique mésopotamienne et les héros de récits divers. Si on les a volontiers opposés, c'était sans doute pour mieux mettre en valeur deux archétypes et deux façons antagoniques d'appréhender le pouvoir en Mésopotamie: aux succès du fondateur Sargon, roi chanceux et pieux, on a ainsi souvent mis en balance le caractère tragique du destin de Narâm-Sîn, victime de son orgueil et qui, malgré ses victoires et sa puissance, a été jugé responsable de rebellions contre l'empire, des invasions extérieures et finalement de la destruction même d'Akkad. C'est là notamment le thème du grand texte littéraire connu sous le nom de Malédiction d'Akkad qui fait reposer sur ce roi la cause du déchaînement de la colère divine, notamment celle du dieu Enlil s'estimant bafoué dans son temple de Nippur. D'autres récits vont dans le même sens, notamment ce qu'on appelle la Légende kutéenne de Narâm-Sîn, où le roi apparaît si sûr de lui-même qu'il en devient désobligeant pour les dieux. Cette façon de présenter les choses paraît d'autant plus remarquable qu'il existe en réalité fort peu d'indices contemporains de Narâm-Sîn pour étayer ces récits. Il est possible qu'il s'agisse là de reflets des différentes opinions qui existaient sur le roi de son vivant même, puis qui ont été récupérées, amplifiées et adaptées par la tradition, en fonction des besoins «idéologiques » propres à chacune des époques qui ont utilisé ces récits.
Bibliographie :
J. Cooper, The Curse of Agade, Baltimore, 1983. S. Franke, «Kings of Akkad: Sargon and Naram-Sin », dans J. Sasson (éd.), Civilizations of the Ancient Near East III, New York, 1995, p. 831-842. D.R. Frayne, Sargonic and Gutian Periods, Toronto, 1993.
J.-J. Glassner, La Chute d'Akkadé. L'événement et sa mémoire, Berlin, 1986.
J. Goodnick Westenholz, Legends of the Kings of Akkade, Winona Lake, 1997.
M. Liverani, Akkad the First World Empire, Padoue, 1993.
A. Westenholz, «The Old Akkadian Period: History and Culture », dans W. Sallaberger et A. Westenholz, Akkade-Zeit und Ur III-Zeit, Göttingen, 1999, p. 17-117.
From : B. Lafont, « Narâm-Sîn », in: Dictionnaire de la civilization mésopotamienne, p. 557-560.
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